Quand je me présente en tant qu’écrivain public, on me demande régulièrement si j’ai déjà publié. Avant d’avoir signé avec GLP pour Le Manoir de Malencontre en 2022, je répondais forcément par la négative et je sentais poindre la déception, voire la suspicion.
Une écrivaine qui ne publie pas, c’est louche !
Moi-même, j’en arrivais à douter de ma légitimité.
Et puis j’ai découvert que je n’étais pas la seule écrivaine à souffrir de ce fameux syndrome de l’imposteur.
Alors je me suis dit qu’il fallait démêler un peu les fils et éclaircir quelques malentendus.
Écrivain public, écrivain, quelle différence ?
Pour commencer, écrivain public et écrivain sont deux activités distinctes. Permettez-moi de revenir sur les définitions.
Un écrivain, lexicalement, c’est juste quelqu’un qui écrit. À ce titre, on est écrivain dès le moment où l’on écrit, quelle que soit la nature de ce que l’on écrit, que l’on publie ou non le résultat.
Bien entendu, quand on utilise le terme pour parler d’un métier, les critères se resserrent un peu.
Un écrivain professionnel s’efforce de gagner sa vie avec sa plume. Mais ses écrits peuvent prendre des formes très variées : journaliste, romancier, blogueur, copywriter et écrivain public sont tous des écrivains professionnels. Ils vivent (ou pas 😉) de leur plume, sans forcément passer par la case publication au sens traditionnel.
Note sur l’inclusivité : si je m’apprivoise au terme écrivaine, j’utilise « écrivain public » sans distinction de genre, juste parce que je trouve le combo « écrivaine publique » très laid !
Pourtant, quand on parle d’écrivain, la majorité des gens pense à un auteur ou autrice de fiction.
C’est pourquoi quand je me présente en tant qu’écrivain public, je précise toujours que cette activité est totalement distincte de mon travail d’autrice.
J’ai d’ailleurs choisi de publier mes fictions sous mon nom de naissance, alors que je suis écrivain public sous mon nom d’épouse. J’ai également deux sites internet et deux cartes de visite pour une meilleure lisibilité de mes activités.
Un écrivain public doit-il être un auteur ou une autrice ?
Un écrivain public a pour objectif de mettre sa plume au service des autres. L’écriture personnelle ne fait pas partie intégrante de son métier.
Un écrivain public n’invente rien : il se contente de prêter sa plume à son client. À ce titre, il doit maîtriser le vocabulaire, la syntaxe, la grammaire, les codes de politesse… rien à voir avec la création littéraire, qui peut d’ailleurs le cas échéant s’affranchir de toutes ces règles !
Ainsi, un romancier ou poète talentueux peut être un écrivain public médiocre, s’il ne sait pas s’adapter à son client.
Inversement, un écrivain public très compétent peut ne jamais écrire le moindre ouvrage personnel.
À mon sens, le fait d’avoir publié ou non des textes personnels ne donne donc aucune indication sur les qualités professionnelles d’un écrivain public.
Cela dit, beaucoup d’écrivains publics mènent une recherche littéraire personnelle en marge de leur activité professionnelle. Et naturellement, les deux s’influencent réciproquement.
Il est vrai aussi que l’expérience de l’édition permet de répondre aux questions des clients qui s’intéressent à l’écriture de fiction. Mais je dirais que c’est plutôt une spécialisation.
En tout cas, je reste persuadée que la publication n’est pas un passage obligé pour être écrivain public – et encore moins pour se sentir écrivain ou écrivaine.
À quel moment a-t-on le droit de s’appeler « écrivain » ?
Un écrivain écrit. Ce n’est pas plus compliqué que ça !
Alors pourquoi est-il si difficile d’admettre que des gens se présentent en tant qu’écrivain ? La plupart du temps, si vous n’avez rien publié, on vous refuse catégoriquement le titre et on vous rit au nez.
Bizarrement, quand je tricotais, personne ne m’a jamais demandé de prouver quoi que ce soit. Mais dès qu’il s’agit d’une pratique à caractère artistique, on dirait que l’on pénètre dans une zone interdite. Avant de prétendre au titre d’écrivain (ou de peintre, musicien, sculpteur…), il faut produire des preuves, des certificats, des prix !
Longtemps j’ai rusé, comme beaucoup d’autres. N’osant pas adopter l’étiquette défendue, j’ai usé de périphrases : « J’écris, je dessine… » en précisant bien vite « pour le plaisir, rien de sérieux ». Tout cela de peur de devoir me justifier en produisant le catalogue de mes œuvres « officielles ».
Un écrivain écrit !
Si vous écrivez dans l’ombre sans oser le dire : même sans publier, si vous écrivez, cela fait de vous un écrivain ou une écrivaine.
Si vous peignez, cela fait de vous un peintre, que vos œuvres soient exposées dans une grande galerie parisienne ou juste punaisées dans votre chambre.
À partir du moment où vous créez, vous avez le droit de vous présenter comme artiste, la tête haute !
Mais ça n’est pas si facile d’assumer ce titre et d’affronter le regard des gens sans autre preuve que le temps consacré. Cela n’a rien à voir avec la qualité ou la rentabilité de ces écrits ou créations.
Même un mauvais écrivain reste un écrivain, du moment qu’il écrit. Et comme dans tous les domaines, la pratique régulière amène fatalement à progresser. Ainsi le pire écrivain, à force de pratique, a toutes les chances de finir par devenir compétent.
S’affirmer écrivain
Spoiler: le sentiment de légitimité n’arrive pas tout seul.
Au contraire, il résulte d’une bataille sanglante contre soi-même. (D’accord, « sanglante, » c’est peut-être exagéré.) (Mais à peine !)
Il y a quatre ans, j’ai pris la décision de me revendiquer autrice envers et contre moi-même. C’est la clé qui a tout débloqué : ça m’a enfin permis de prendre ma pratique au sérieux et de terminer les manuscrits sur lesquels je stagnais.
Ce n’était pas simple au début, je vous promets : je me suis d’abord déclarée écrivaine en chuchotant, étouffée par le syndrome de l’imposteur… puis j’ai réussi à l’affirmer de plus en plus naturellement au fur et à mesure de mes progrès.
Quatre ans plus tard, j’ai appliqué la même stratégie à mes créations visuelles : de « je dessine un peu », je suis passée à me présenter comme artiste, encore de façon hésitante, certes, mais je progresse.
Alors, évidemment, la pratique précède le titre. Mais la pratique est le seul et unique prérequis pour prétendre au titre d’écrivain ou d’artiste – et cela n’implique pas la reconnaissance.
Aujourd’hui, avec deux contrats d’édition dans deux maisons différentes et deux livres autoédités, je ne me sens toujours pas 100 % légitime. Mais c’est une autre histoire.
Neil Gaiman (un auteur formidable, autant pour sa fiction que pour ses convictions) racontait cette anecdote (lien en anglais) : invité à une prestigieuse convention, il se sentait terriblement « illégitime », jusqu’au soir où il s’est retrouvé à discuter avec Neil Armstrong qui lui a avoué partager le même malaise. Ça l’a rassuré à l’époque.
Et ça me rassure depuis ! Si les deux Neil souffraient du syndrome de l’imposteur, ça implique que ni la reconnaissance ni la célébrité n’en viennent à bout. Conclusion : il faut s’habituer à vivre avec ! 😉
Amis écrivains, scribouillards, écrivaillons et autres griffonneurs, à quel stade en êtes-vous avec ce sentiment de légitimité (ou d’imposture) ? Osez-vous vous affirmer comme écrivain ? Si oui, bravo ! Et si ce n’est pas encore le cas, j’espère que cet article vous encouragera à le clamer haut et fort. 😉