points d'interrogation

La fracture numérique, l’illectronisme et l’écrivain public

Note : Cet article date de septembre 2019, mais le sujet reste d’actualité. Les choses évoluent de façon positive, mais très lente et la situation n’est pas si différente aujourd’hui. Je le republie donc, quasiment tel quel.

J’avais envie d’écrire un article au sujet de la fracture numérique, et du rôle que pouvait jouer l’écrivain public pour y remédier.

Coïncidence, je reçois dans ma boîte aux lettres il y a quelques jours un magazine avec un article sur l’illectronisme. Cet article renvoie à l’étude du CSA publiée en mars 2018 qui a donné lieu à la rédaction d’un livre blanc par le SPS (Syndicat de la presse Sociale) en juin 2019.

J’ai donc plongé dans ces documents. J’y ai trouvé une mine d’informations passionnantes, parfois surprenantes, mais qui toujours confortent complètement ma conviction : l’écrivain public est l’un des acteurs potentiels dans la lutte contre l’illectronisme et la fracture numérique.

Mais vous êtes peut-être déjà en train de vous gratter la tête au milieu de tous ces mots bizarres. Reprenons au début.

Fracture numérique, illectronisme : qu’est-ce que c’est ?

On parle de fracture numérique depuis déjà quelques années. Il s’agit de l’inégalité face aux technologies de l’information et de la communication. Cela revient souvent à l’utilisation d’internet et de services en ligne.

On distingue plusieurs degrés de fracture numérique :

On dit que la fracture numérique est de 1er degré quand elle est due à une difficulté d’accès (mauvaise connexion, zones blanches).

On parle de fracture numérique de 2e degré si elle est liée à l’utilisation du matériel informatique, logiciels, applications, etc.

L’illectronisme quant à lui désigne l’équivalent de l’illettrisme en version numérique, c’est-à-dire la difficulté à utiliser les technologies numériques et internet. (Ce néologisme est devenu courant en 2018 à la suite de l’étude du CSA, mais il n’est entré dans le dictionnaire qu’en 2021.)

Si vous avez bien suivi, l’illectronisme est donc lié à la fracture numérique du 2e degré, et c’est à lui que je vais m’intéresser aujourd’hui.

Qui sont les illectronistes et les « abandonnistes » ?

On s’attend à voir les seniors en tête, et les jeunes « qui sont nés dedans » tout en bas de ce classement face aux difficultés numériques.

Alors en effet, un écart existe bel et bien entre la population générale et les plus de 70 ans concernant l’aisance à utiliser internet :

20 % des seniors trouvent la navigation sur internet difficile, contre seulement 8 % du grand public.

On s’aperçoit toutefois que les jeunes, très à l’aise sur certaines utilisations, peuvent néanmoins se retrouver démunis face à d’autres situations (rédaction de courriels, dossiers dématérialisés…)

En parallèle, j’ai été surprise de voir qu’environ un tiers des Français a déjà renoncé à faire quelque chose parce qu’il fallait utiliser internet. Et 1 Français sur 5 a même renoncé plusieurs fois au cours de l’année passée !

L’étude du CSA s’est penchée sur le profil de ces gens désignés comme « abandonnistes » : le résultat est que le profil de cette catégorie est assez proche de celui de la population globale. Actifs et retraités, femmes et hommes, ruraux et urbains, de diverses tranches d’âge, tous sont représentés.

infographie de 2019

À quels types de démarches les abandonnistes ont-ils renoncé ?

Si la majorité des démarches abandonnées concernent les loisirs, les démarches administratives totalisent tout de même 39 % des réponses.

C’est énorme ! Je veux dire, renoncer à une démarche de loisir qui n’est sans doute pas essentielle, c’est une chose. Mais renoncer à une démarche administrative, cela prouve un réel malaise.

D’autant que bien souvent, des personnes défavorisées doivent renoncer à des aides légitimes, juste à cause de leurs difficultés avec internet.

La fracture numérique dans ces cas-là amplifie encore davantage l’écart social, isole et enfonce ceux que les technologies sont censées aider. On tombe dans un cercle vicieux.

Dématérialisation des services publics : vers une fracture numérique du 3e degré ?

Avec la dématérialisation intégrale des services publics prévue pour 2022, le Livre blanc « Contre l’illectronisme » pointe le risque d’augmenter encore la vulnérabilité d’une partie de la population, victime de l’inégalité d’accès à l’accompagnement humain, ce que le SPS désigne comme la fracture numérique du 3e degré.

En effet, quand tout se fera directement en ligne, y compris l’assistance, comment feront les illectronistes ? Surtout ceux qui sont déjà géographiquement isolés, et qui n’auront plus aucun guichet physique de proximité…

Par conséquent, le SPS conclut que la solution ne réside pas dans une aide ponctuelle, mais bien dans l’accompagnement des illectronistes vers une autonomie durable vis-à-vis de l’utilisation des nouvelles technologies.

Et l’écrivain public, dans tout ça ?

C’est là que l’écrivain public du XXIe siècle enfile sa cape, dégaine son clavier et sa souris, et déboule pour sauver le monde !

Plus sérieusement, l’écrivain public a un réel rôle à jouer dans la lutte contre l’illectronisme, comme le souligne le SPS qui le fait figurer parmi les solutions : « réinventer le métier d’écrivain public » (p.24 du Livre blanc).

Certes, nous écrivains publics ne sommes pas nécessairement des pros de l’informatique. En revanche, notre utilisation quotidienne des outils numériques nous oblige à être à l’aise avec ces derniers. Chaque écrivain public a des compétences spécifiques dans ce domaine.

Pour ma part, outre bien évidemment l’utilisation du traitement de texte pour écrire mes articles, je sais aussi utiliser un minimum de traitement d’image. J’ai également conçu mon site internet (avec l’aide précieuse de formations en ligne).

Et bien sûr, comme tout le monde, je me débats quotidiennement avec les différents sites administratifs pour tout ce qui touche à mon entreprise et ma vie privée. Jusqu’ici, je m’en sors !

Bref, dans la typologie des utilisateurs du numérique établie par le CSA, je fais partie du groupe des « aguerris ».

Ma vision idéale…

Les Maisons de Service Au Public (MSAP) proposent déjà une assistance pour toutes les démarches administratives. Mais elles ne sont que 1200 en France en 2019.

Mise à jour 2022 : les MSAP sont devenues des guichets France Services, on en dénombrait 2055 en janvier 2022, avec un objectif de 2500 d’ici les élections.

J’imagine un monde idéal où ces Maisons bénéficieraient de l’emploi d’écrivains publics pour étoffer leur accompagnement humain.

 Les employés qui assurent les permanences ne sont en effet pas nécessairement formés à tous les aspects de l’accompagnement. Nos compétences linguistiques, rédactionnelles et numériques en tant qu’écrivains publics viendraient complémenter les services proposés au public.

Nous avons en outre l’habitude de travailler avec et pour les autres. C’est pourquoi je suis convaincue que les services publics ont tout intérêt à faire appel à nos compétences à l’avenir.

L’assistance numérique de l’écrivain public

En tant qu’écrivain public, je propose bien entendu une assistance numérique ponctuelle : compléter un dossier en ligne, rédiger et envoyer un courriel, etc.

Mais je suis tout à fait d’accord avec les conclusions du SPS, ce n’est pas une solution durable. Il faut aller plus loin.

C’est pourquoi je propose également un programme d’accompagnement pas à pas vers l’autonomie numérique.

Soyons clairs, je ne vous apprendrai pas à programmer !

Mais en quelques séances, je vous apprendrai à naviguer sur internet, écrire un courriel, scanner un document, utiliser les bases d’un traitement de textes… et surtout, je vous aiderai à surmonter vos appréhensions afin que vous osiez vous lancer et manipuler les outils numériques.

À vous de jouer !

Si vous avez lu cet article, il est fort probable que vous ne soyez pas concerné par l’illectronisme. (Remarquez mon sens de déduction digne de Sherlock Holmes !)

En revanche, vous connaissez sans doute des personnes touchées par la fracture numérique à un degré ou un autre.

Pour réduire cette fracture, il est essentiel que les personnes qui sont à l’aise avec l’utilisation des outils numériques fassent preuve de solidarité avec ceux qui le sont moins.

Nous avons tous déjà aidé un membre de notre entourage, de façon ponctuelle ou régulière, et bien sûr nous devons continuer de le faire.

Mais cela ne suffit plus. Aussi, je vous invite à faire bouger les choses auprès de vos collectivités locales : communes, centres socioculturels, MJC…

Appuyez leurs initiatives pour trouver des solutions à l’illectronisme.

Incitez-les à en prendre si ce n’est pas encore le cas dans votre quartier.

Demandez la mise en place de permanences, d’ateliers, de cours.

Et pourquoi pas, suggérez-leur d’employer des écrivains publics !

Références :

« Illectronisme : des mesures contre cette marginalisation sociale », Valeurs Mutualistes n°317, 3e trimestre 2019

Enquête sur « l’illectronisme » en France, CSA Research, mars 2018

Livre blanc « Contre l’illectronisme », Syndicat de la Presse Sociale, juin 2019

2 réflexions sur “La fracture numérique, l’illectronisme et l’écrivain public”

  1. Bonjour
    J’aimerais écrire un livre sur la fracture numérique,
    Je l’appellerai « La fracture numérique, une nouvelle exclusion ?3 témoignage d un écrivain public

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